À l’heure d’une prise de conscience généralisée de l’avènement de la 4e révolution technologique, celle de la symbiose entre le physique, le numérique et le biologique, les vrais enjeux économiques, politiques et moraux se dessinent enfin. (Par Fabrice Imbault, directeur général d’A Plus Finance)
Il aura fallu une dizaine d’années pour bouleverser notre modèle industriel classique. Combien d’entreprises historiques, petites ou grandes, se réveillent aujourd’hui avec la gueule de bois ? Entre le top 5 des capitalisations mondiales il y a 10 ans et aujourd’hui, seul Microsoft est encore là. Et si vous mettez de côté Aramco, une forme « d’anomalie » boursière, le podium est 100 % technologique.
De l’industrialisation à la numérisation
Dans ce monde qui change, c’est bien l’économie qui comme d’habitude a pris les devants. L’émerveillement un peu naïf devant les prouesses de la technologie à nous donner accès à tant d’informations instantanément ou à trouver de nouveaux « amis » à l’autre bout de la planète s’est transformé en réticence et en méfiance. Comme des enfants à Noël, nous avons été contents d’avoir de nouveaux jouets, de les montrer à toute la famille, mais pas question de les prêter ! Les enjeux financiers comme moteur de la croissance économique et de l’emploi sont devenus tellement colossaux que le jeu s’est transformé en guerre.
Et ce n’est pas qu’une guerre de géants, car en bas de l’Olympe où s’affrontent les GAFAM et les BATX, ce sont des milliers d’entreprises petites et grandes qui sont parties dans une course à la survie face aux mutations qu’elles doivent affronter. Au-delà du digital, maintenant il faut aussi intégrer l’environnemental et le social, qui sont parfois beaucoup plus complexes à mettre en œuvre. Entre nos champions nationaux, ces grandes entreprises, emblèmes de l’ancien système, mais toujours créatrices de valeur et d’emplois qui dépensent des millions pour accompagner le changement et les start-ups qui sont par nature « digital natives » et « sustainable natives », il y a un monde de PME et d’ETI qui doivent s’adapter au risque de très rapidement péricliter.
En lieu et place d’un système vertical sur lequel régnait une grande entreprise, donneuse d’ordre faisant travailler toute une région au travers d’un maillage de PME, les nouveaux géants fonctionnent sur un mode horizontal. Très centralisés et souhaitant maîtriser au maximum la chaîne de valeur grâce à des compétences souvent internalisées, ils génèrent moins d’emplois, mais attirent davantage de talents. Contrairement aux entreprises de « l’ancien monde », ils créent de la valeur, mais sans inflation.
Une volonté politique
Enfin les États se réveillent. Sous prétexte de défendre leurs concitoyens et leur économie, c’est surtout la crainte de la perte de leur souveraineté qui pousse les politiques à entrer dans la danse. Il aura fallu des élections clairement manipulées et l’émergence d’une nouvelle monnaie virtuelle pouvant potentiellement toucher presque la moitié de l’humanité pour que tous brandissent l’étendard de la règlementation. Les voix sont plus ou moins fortes suivant les pays, mais l’idée originelle d’une autorégulation des réseaux a atteint ses limites avec l’importance qu’ils ont prise dans nos vies. C’est un peu comme l’autogestion en entreprise, l’idée est séduisante, mais son application aux grands ensembles est inopérante.
La mode n’étant plus à la planification, le politique essaie de reprendre la main, non pas pour restreindre les libertés comme certains le prétendent, mais plutôt pour les maintenir face à la puissance du numérique concentrée dans quelques mains d’acteurs privés et souvent étrangers. Nous sommes passés d’une mondialisation de marchandises à une mondialisation des données. Qui appuie sur « refuser » dans les petits pop-up de la page d’accueil des sites internet ? Au risque de ne pas avoir accès à l’information, d’être redirigé vers une page de conditions générales ou tout simplement par habitude, on accepte.
Depuis 10 ans, l’action politique en France a été de ce point de vue assez remarquable. L’État a investi fortement dans la mutation du modèle économique, notamment au travers de la mission French Tech dont la raison d’être, pleinement affichée, est de « faire de la France un des pays les plus attractifs au monde pour les start-ups ». À l’aide de la BPI qui investit à tour de bras dans les start-ups françaises, mais aussi et surtout dans la transformation des PME et des ETI, c’est tout un dispositif public d’accompagnement qui a été mis en place et les résultats sont là. Notre économie a pivoté vers les services porteurs de croissance et d’emplois alors que le modèle industriel, tel que pratiqué en Allemagne, souffre fortement des contraintes règlementaires, environnementales et internationales.
Contrairement au capitalisme américain qui se passe facilement de l’État pour auto-générer des empires économiques, le modèle français nécessite une impulsion publique pour tracer la voie. L’épanouissement d’un maillage d’entreprises axées sur le digital, crédibles et solides découle d’un plan politique de long terme. Il y a dix ans, les mots « levées de fonds », « VC », « private equity » et même « start-up » ne disaient absolument rien aux non-initiés. À l’époque, les jeunes diplômés rêvaient d’une carrière dans une grande multinationale. Aujourd’hui, 45 % d’entre eux souhaitent un jour créer leur entreprise. La nouvelle génération rêve d’entrepreneuriat, de flexibilité, d’indépendance, et le politique entretient le fantasme pour produire les leaders de demain.
Ce n’est donc pas simplement le modèle économique qui a muté, c’est tout un environnement socioculturel avec. La numérisation du monde a créé son propre univers et le politique a embrassé le mouvement.
Et la morale ?
Beaucoup s’agitent autour des mérites et des risques de l’intelligence artificielle, des biotechnologies, du transhumanisme, mais ce n’est encore que les balbutiements. Pour quiconque ayant tenté de converser avec Alexa, il est clair que l’assistant vocal est à l’intelligence artificielle ce qu’était le Bi-Bop des années 90 à l’iPhone. Aujourd’hui, les énergies se concentrent à sauver la planète, nous verrons plus tard comment y vivre ensemble… et avec les machines.